Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/05/2012

La reconnaissance de l’Autre [3/3]

humanisme,chine,confucius,reconnaissance de l'autre,françois jullien,cyrille javary,chenva tieuLe propos dans mon post précédent est simple : les valeurs « universelles » n'ont pas été proclamées dans un vide culturel. Leur essor et leur actualisation parmi les peuples de cultures différentes sont d'autant plus efficients que notre connaissance intime de ces cultures est solide.      

Il faut croire que la majorité des défenseurs des valeurs universelles sont sincères, prêts à reconnaître et dialoguer avec les peuples en face, avec leur histoire et leur culture. D'ailleurs, que peuvent-ils entendre d’un Chinois qui ne soit déjà énoncé en Occident, et qui serait plus beau et plus noble que les belles valeurs dont les droits de l’homme seraient l'ultime expression ? 

Comme tout Chinois qui se respecte, je ne vous dirai jamais que la pensée chinoise est la plus élevée ou la plus profonde, que la civilisation chinoise est la plus brillante, que la philosophie chinoise pourrait éclairer le monde entier.

 

Pour les Occidentaux, les Chinois ont un « défaut » : souvent, ils ne parlent pas, ou pas assez en tout cas. Généralement, ce silence est interprété comme un déficit de pensée libre ou un manque de conviction. En réalité, ils n’expriment leur opinion, n’exposent leur connaissance que lorsqu’ils ont le sentiment que l’Autre est prêt à l’entendre.

 

Lorsqu’il arrive à un Chinois de révéler son point de vue, c’est comme s’il vous invitait à une dégustation de thé : le thé sera aussi bon que vous serez en mesure de l’apprécier. Il est vrai que les Chinois convient relativement peu les Occidentaux à une telle dégustation. Non pas parce qu’ils seraient moins hospitaliers que d'autres peuples, mais parce qu’une telle rencontre se concrétise plus difficilement sans le partage d’une même langue (française ou chinoise). Difficulté supplémentaire : ce partage passe par une expérience intime de la trajectoire des mots et des concepts dans cette langue partagée, c’est-à-dire par des références culturelles que constituent deux mille ans d'histoire, de légendes, d’anecdotes, de joutes philosophiques, de littérature, de poésie, de théâtre, d'art, etc. 

 

Prenons un mot comme exemple pour illustrer ce propos : ce pourrait être prononcé rén, un caractère chinois composé des signes « humain » et « deux ». Bien plus que « ce qui se passe entre deux individus », ce mot suggérant « le meilleur de ce qui se tisse entre deux humains » est devenu le concept clé de l’enseignement de Confucius (5e siècle av. notre ère). En effet, il peut exister beaucoup de rapports différents entre deux humains : le ressentiment, l’aliénation, la haine, la rancune, la jalousie, la tromperie, la complaisance, l’obligation, la confiance, le don, le pardon, l'hospitalité, l’amitié, la loyauté, l'empathie et l’émancipation, etc. Le confucianisme (et non la doctrine de ses usurpateurs) consiste à développer un ensemble d’outils conceptuels nous aidant à éviter les pièges dans notre quête des idéaux du vivre-ensemble, grâce à la perfection de soi et à la rencontre d’un Autre, singulier, concret et vivant. 

 

Fondamentalement, il s'agit ici de l'expression d'un humanisme basé sur la « reconnaissance de l’Autre ».

 

Ces mots chinois existent aussi en français (sans quoi je n'aurais pas pu écrire ce post), mais la différence de civilisation fait que les Européens, héritiers du christianisme, de la Renaissance et des Lumières, n'ont pas choisi de les "activer" d'une manière systémique pour penser la société humaine. 

 

Pour ceux qui s’y intéressent, je recommande volontiers quatre ouvrages contemporains, dont trois ont fait déjà l’objet d’un article sur ce blog (posts accessibles via l'hyperlien). Tous ont le mérite de présenter le plus clairement possible l'humanisme chinois en s’appuyant sur les concepts et catégories de pensée véhiculées par la langue française.

   

 

Chun-Liang YEH

 

 

08/09/2009

Manuel de chinoiseries – à l’usage de mes amis cartésiens

9782843375347_ManuelDeChinoiseries.gifDes livres sur la Chine contemporaine et sur nos attitudes envers elle, on en trouve régulièrement sur les rayons. Celui de C. Tieu, Manuel de chinoiseries – à l’usage de mes amis cartésiens a la particularité d’aller à l’encontre des idées reçues, sans démagogie. L’initiative a d’autant plus de mérite que ces idées reçues, souvent cautionnées par des intellectuels ou journalistes médiatisés, ne manquent pas de semer des confusions malencontreuses dans l’esprit des lecteurs peu familiers avec la culture chinoise.

L’ouvrage de Tieu est riche en exemples des « perceptions » partagées par beaucoup de Chinois, mais largement ignorées des Occidentaux. Si l’auteur n’insiste pas beaucoup sur un regard critique nécessaire sur ces « perceptions », cela se justifie par le fait que l’ouvrage est avant tout adressé à ses « amis cartésiens ». En huit chapitres qui se tiennent ensemble, l’auteur saisit des notions essentielles comme la vérité, le potentiel, etc. pour expliquer (à ne pas confondre avec justifier) aux lecteurs pourquoi les Chinois pensent et agissent autrement qu’eux.

Un passage du dernier chapitre illustre bien la confiance que l’auteur place en l’intelligence de ses lecteurs :

 

L’intérêt de ces libertés [individuelles] peut être ressenti dans la logique chinoise, de l’intérieur. Vouloir les imposer de l’extérieur, comme une conquête de l’Occident à qui le monde entier devrait dire merci pour leur diffusion, en laissant entendre aux Chinois que leur manière de penser n’est pas valide, c’est avoir une bien piètre image du dialogue entre les civilisations ! Et c’est absolument contre-productif. Alors que si on les respecte, je pense les Chinois à même de retenir le meilleur en l’accommodant à leur système.

 

Que cet ouvrage donne raison à tous ceux qui croient en le dialogue et la rencontre des cultures, pour un monde meilleur.

 
    

Manuel de chinoiseries – à l’usage de mes amis cartésiens

éditions Anne Carrière 2009

L’auteur Chenva Tieu : Français d’origine chinoise arrivé à Paris à l’âge de 12 ans, est entrepreneur dans les services financiers et la production audiovisuelle. Il est cofondateur du Club du xxie siècle, qui rassemble l’élite républicaine issue de la diversité, et préside la chaire Management & Diversité à l’université Paris Dauphine. (4e de couverture)