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27/02/2011

Créations originales et la tradition

BT_02_cabochon1.jpgDans les salons, nombre de lecteurs me posent la question : « Est-ce que vous transcrivez en français des histoires chinoises qui ont déjà existé, ou bien est-ce que vous les avez inventées ? »

 

Cette question intéressante nous permet d’expliquer plusieurs aspects essentiels de mon activité d’auteur en lien avec une proposition éditoriale « interculturelle ».

 

Elle est très présente lorsqu’un lecteur français rencontre un auteur chinois. A contrario, elle n’est pas posée lorsqu’il rencontre un auteur français. En effet, nous n’avons pas besoin de la poser à un auteur français car nous connaissons (ou, disons, rien ne nous empêche de connaître) toutes les œuvres qui ont pu être produites en langue française. Nous en connaissons le contenu comme le style. A partir de là, nous pouvons apprécier par nous-mêmes, sans interroger l’auteur, la part de la tradition littéraire qui nourrit sa création singulière et la part de sa propre invention.  

 

Face à un auteur chinois, un lecteur non spécialiste de la littérature chinoise n’est pas préparé pour réaliser cette appréciation. Il n’a pas eu accès à l’immense héritage culturel et littéraire chinois, et n’est pas en mesure d’identifier la singularité de l’auteur par rapport à la tradition qui l’a inspiré.

Malgré cela, le lecteur qui connaît la nature de toute activité d’écriture peut faire la supposition suivante sans risque de se tromper : il y a et la création et la tradition dans les textes publiés par HongFei Cultures. D’un côté, il est impossible pour quiconque veut toucher un public par ses écrits de ne faire que répéter ce qu’il a entendu ailleurs. Même une simple traduction implique beaucoup d’inventivité de la part du traducteur. De l’autre côté, il est tout aussi peu crédible de prétendre avoir tout inventé. Il faut avoir entendu et prononcé des mots d’amour dans la vie pour en imaginer pour ses histoires. 

 

* image extraite de La Bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup par Pei-Chun Shih, avec des illustrations originales de Géraldine Alibeu. Le texte a été distingué par le prix « Meilleure lecture de l’année 2007 » de l’association de littérature jeunesse de Taïwan. 

    

30/01/2011

Un auteur chinois s’exprime-t-il comme un auteur français ?

9782355580307_BT.jpgDans un souci constant de simplicité sans être simpliste, nous suggérons qu’on aborde la question des « caractéristiques » des textes littéraires chinois par deux problématiques : la récurrence dans le vocabulaire utilisé, et le rythme de la narration.

 

La récurrence : des auteurs chinois, dont quelques uns des plus grands poètes de l’histoire littéraire du pays comme LI Bo 李白et LI Shangyin 李商隱, sont extrêmement habiles à l’emploi répété de mots dans certaines de leurs compositions. Un lecteur français, peu familier avec cet art de la récurrence et habitué à manier des synonymes, peut s’étonner de la « pauvreté » du vocabulaire de ces poèmes considérés comme la fine fleur de la littérature chinoise. Or, pour un lecteur chinois, c’est une source importante du plaisir et une évidence du talent de l’artiste. En effet, l’apparition d’un même mot à deux endroits différents de la composition, parfois avec une petite variation, n’est pas une simple répétition mais une « récurrence », car le contexte a évolué entre la première apparition et la deuxième. La transformation n’est pas marquée par le changement du mot qui désigne la chose, mais par un changement du contexte dans laquelle elle est située.

 

Le rythme : lorsqu’un auteur chinois mène sa narration sur un rythme inhabituel pour une oreille française, il peut s’agir d’une expression propre à l’auteur comme individu, comme il peut s’agir d’une expression beaucoup plus partagée par les auteurs de langue chinoise. Sur ce dernier point, nous avons eu récemment un échange très intéressant avec notre relectrice Sophie Harinck sur un texte à paraître au printemps*. En fait, en relisant notre traduction française, Sophie nous a fait remarquer qu’à tel endroit il devrait y avoir un changement de paragraphes, et qu’à tel autre endroit le changement de paragraphes serait à supprimer. Pourtant, nous n’avions fait aucun remaniement entre le texte d’origine en chinois et sa traduction française. Cet exemple nous paraît très éloquent sur la manière dont un rythme différent interpellerait le lecteur : là où le lecteur français s’attend à un arrêt, l’auteur chinois avance ; et là où le lecteur français s’attend à une continuité, l’auteur chinois marque une ponctuation.

 

Il est entendu que ces deux problématiques, aucunement exhaustives, sont citées à titre de démonstration et par rapport à l’habitude de lecteurs francophones. En publiant des textes d’auteurs chinois, nous sommes constamment confrontés à ces problématiques ; il s’agit toujours de veiller au respect de la création de l’auteur comme de la réception de lecteurs, dans notre proposition consciencieuse d’éditeur.

 

 

 

* La Bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup par Pei-Chun Shih, avec des illustrations originales de Géraldine Alibeu (cf. l'image, à paraître le 24 mars 2011). Le texte a été distingué par le prix « Meilleure lecture de l’année 2007 » de l’Association de littérature jeunesse de Taïwan.

     

23/11/2010

Les littérature et langue chinoises

4.jpgSoyons clairs : il est impossible de présenter une tradition littéraire plurimillénaire dans un article qui se lit en cinq minutes. Je renvoie volontiers les lecteurs curieux à un ouvrage de référence Anthologie de la littérature chinoise classique par Jacques Pimpaneau (éd. Philippe Picquier 2004) qui se lit comme un roman passionnant.

 

Le lecteur y trouvera une présentation détaillée de textes et de critiques littéraires, par genre et par période. A la marge de cette présentation, nous invitons le lecteur à prêter attention à un aspect particulier de la création littéraire en Chine, comme on s’intéresse à la structure d’un pinceau, la texture d’un papier ou encore les gestes d’un peintre lorsqu’on étudie et apprécie la peinture chinoise.

 

La littérature chinoise renvoie à l’ensemble des textes littéraires exprimés en langue chinoise, laquelle est radicalement différente de celles connues et pratiquées en Occident. Elle se reconnaît par les caractères (ou groupes de caractères) pris dans un jeu combinatoire riche en potentiel poétique. Sa grammaire est lâche : il est fréquent qu’un même mot s’emploie ici comme un nom, là un verbe, et ailleurs comme un adjectif.

 

Comment les textes naissent-ils dans cette tradition littéraire ? Par la lecture des œuvres majeures forgeant le regard et la sensibilité d’un auteur qui utilise alors cette langue pour porter une expression inédite tout en se faisant comprendre de ses contemporains. En effet, c’est en puisant dans les meilleurs textes, qui restent vivants au-delà des millénaires, qu’un auteur chinois crée son langage pour partager avec ses lecteurs un univers singulier, avec une grande précision et une puissance d’émotion.

 

Même si vous ne pratiquez pas la langue chinoise, il est tout à fait possible de vous faire une idée du lien étroit entre le renouvellement perpétuel d’une langue ancestrale, d’une part, et l’existence pérenne d’une tradition littéraire dans le monde moderne, d’autre part. Aidons-nous pour cela d’un texte extrêmement limpide et éclairant de Charles Baudelaire, dans lequel il décrit la maîtrise par un jeune Anglais (Thomas de Quincey, 1785-1859) de ce processus d’actualisation de la langue grecque :

 

De très bonne heure il se distingua par ses aptitudes littéraires, particulièrement par une connaissance prématurée de la langue grecque. A treize ans, il écrivait en grec ; à quinze, il pouvait non seulement composer des vers grecs en mètres lyriques, mais même converser en grec abondamment et sans embarras, faculté qu’il devait à une habitude journalière d’improviser en grec une traduction des journaux anglais. La nécessité de trouver dans sa mémoire et son imagination une foule de périphrases pour exprimer par une langue morte des idées et des images absolument modernes, avait créé pour lui un dictionnaire toujours prêt, bien autrement complexe et étendu que celui qui résulte de la vulgaire patience des thèmes purement littéraires.

 

Les Paradis artificiels, part II « Un mangeur d’opium ».

 

  

Image extraite de l’album Tigre le Dévoué (éd. HongFei Cultures 2009) illustré par Agata KAWA. Parmi les quatorze planches du livre, celle-ci accompagne le passage surligné du texte chinois de SHEN Qifeng reproduit ci-dessous. 

3.jpg

 

   

16/11/2010

Pourquoi publions-nous des textes d’auteur ?

1.jpgVoici une des questions les plus fréquemment posées aux éditeurs de HongFei Cultures sur les salons : « Ce sont des contes traditionnels que vous publiez ? »

 

En effet, l’expression « conte traditionnel » évoque, dans l’esprit de beaucoup de lecteurs, la double idée de l’authenticité et de la permanence. Si un conte est répété de génération en génération, c’est la preuve qu’il correspond à la conscience ou au génie collectif d’un peuple, et qu’il est donc « fiable » lorsqu’on veut acquérir une « connaissance » de la culture ou civilisation de ce peuple.

 

Certaines des histoires que nous avons publiées possèdent effectivement une structure de narration proche de celle des contes très connus et appréciés en Occident (situation initiale – crise – quête – résolution, etc.) Mais, chaque récit que nous publions (qu’il s’apparente ou pas au conte) est présenté d’abord en tant que « texte d’auteur ».

 

Plusieurs raisons sont à l’origine de ce choix d’éditeur. Contentons-nous d’en évoquer une majeure ici :

 

Un conte emporte le lecteur dans un monde autre, par un effet d’extravagance fort d’une grosse sagesse comme le signale Elisabeth LEMIRRE dans son avant-propos des Contes du mandarin (éd. Picquier Poche 2007). Or, ce que nous souhaitons partager avec nos lecteurs ne se définit pas comme intrinsèquement « extravagant » ni n’est destiné à porter une morale. Au contraire, les sujets et personnages des récits beaux et profonds, que nous présentons aux lecteurs en France et qui peuvent parfois les troubler, font généralement partie des choses « ordinaires » de la vie d’un Chinois.

 

C’est le regard et l’art des auteurs, mis en valeur par les éditions HongFei Cultures, qui transforment ces moments de la vie en une œuvre « extraordinaire » à contempler et dont on jouit, les enfants comme les adultes, en France comme en Chine.

 

Cette démarche nous permet de guider le regard du lecteur vers une création incarnée par le texte. Celui-ci porte en témoignage les pensées et les émotions d’un auteur qui, une fois son acte de création achevé, s’en détache. A la différence d’un conte « agissant sur » l’émotion d’un auditeur par l'intrigue et les effets de la narration, le lecteur est ici invité à « faire un pas vers » le texte et à le reconnaître comme le lieu de résonnance d’une émotion vécue. C’est ce qu’on appelle une « empathie » - être capable d’émotion pour l’émotion d’un autre.

 

L’une de nos plus grandes satisfactions, depuis la création des éditions HongFei Cultures, est de constater dans les écoles, les bibliothèques et sur les salons que les enfants ne s’intéressent pas uniquement aux intrigues des contes. Ils sont tout à fait capables et désireux de faire ce pas vers un texte pourvu qu’il propose de partager une expérience sensible.

 

Publier pour les jeunes lecteurs des textes d’auteur est une manière d’accompagner les enfants dans le développement d’une sensibilité aux mots justes. Peut-être que, marchant sur les pas des auteurs, ils parviendront à leur tour à « verbaliser » une expérience avec justesse et élégance, pour eux-mêmes et pour les autres. Dans tous les cas, il nous semble que c’est aller plus loin dans l’exploration de ce monde.

 

Voici pourquoi HongFei Cultures propose une expérience de récits d’auteur chinois, classiques ou contemporains, un peu plus rarement rencontrée en France jusqu’ici que celle des contes dits « populaires » et/ou « traditionnels » très présents dans la production éditoriale de livres pour la jeunesse.

 

 

Image extraite de l’album « Homme-Requin », illustré par Gaëlle Duhazé. Le texte de SHEN Qifeng fut publié en 1792, alors que l’ouvrage « A la recherche des esprits » par Gan Bao au 4e siècle donna déjà un portrait du héros de l’histoire.

04/11/2010

Textes d'auteurs chinois

03.jpgNous avons eu récemment une occasion d’expliquer, dans deux émissions de radio* sur l’actualité culturelle, l’offre éditoriale que nous formulons depuis trois ans, à travers notamment une présentation des nouveaux titres de la rentrée. 

 

Nous avons aussi eu le grand plaisir de constater un intérêt réel chez nos deux interlocutrices sur l’une des spécificités de notre proposition : les textes d’auteurs chinois.

 

Que les auditeurs qui nous ont écoutés nous excusent des explications partielles données allègrement sur les ondes. En effet, derrière ces mots simples, il y a tout un univers qu’une vie entière ne suffirait pas à explorer de manière exhaustive. Nous nous efforçons, malgré tout, d’évoquer quelques facettes de cette problématique, comme un début de réponse qui se prolongera sûrement sur les prochains posts de ce blog :

   

1. Pourquoi publions-nous les textes d’auteur, et non les contes populaires de la tradition orale ?

 

2. La tradition littéraire chinoise peut-elle se reconnaître, comme une peinture chinoise se différencie d’une peinture occidentale ?

 

3. Quelles seraient les caractéristiques de la littérature chinoise, en particulier celle accessible aux jeunes lecteurs ?

 

4. Comment situer une création contemporaine (comme Pi, Po, Pierrot, Face au Tigre et Les Deux Paysages de l’empereur, Marée d'amour dans la nuit) par rapport à cette tradition littéraire ? Comment peut-on valoriser son originalité et sa singularité d’auteur tout en s'inscrivant dans une tradition littéraire ?

  

Voilà de quoi nous occuper pour quelques temps...

  

 

 

Image extraite de l'album Les Deux Paysages de l'empereur, illus. Wang Yi

 

* les liens vers l'enregistrement de ces émissions seront bientôt disponibles sur ce blog.

10/10/2010

Un lapin malin a trois terriers.

lapin08-lapin-haut-petit.jpgMais où est donc le lapin ?, le deuxième titre de la collection en quatre mots, est la première publication de la jeune artiste Sophie Roze, déjà distinguée pour son film d’animation Les escargots de Joseph. Nous avons eu beaucoup de plaisir dans cette collaboration où l’illustratrice nous régale avec des scènes drôles à souhait reflétant parfaitement l’état d’esprit de notre héro espiègle, Dan le lapin.

 

Ce livre présente deux histoires résumées chacune par une expression proverbiale en quatre mots chinois appelée chengyu. L’expression « Jiao tu san ku » vieille de plus de deux mille ans et mise en exergue par le deuxième épisode de l’album, est l’une des plus connues des Chinois.

 

Jiao tu san ku  狡兔三窟 peut se traduire littéralement en « Un lapin malin a trois terriers ». Comme beaucoup d’autres chengyu, c’était à l'origine une métaphore employée par un stratège auprès d'un prince à l’époque des Royaumes combattants (476-221 B.C.). En l’occurrence, le stratège répond au nom de Feng Xuan et le prince du royaume de Qi s’appelle Mengchangjun. En effet, le stratège Feng ne s'est pas contenté de conseiller son maître ; il a aménagé trois « refuges » pour Mengchangjun sans obtenir son accord en amont. Quel esprit d’initiative !

 

La suite de l’histoire est prévisible : Mengchangjun a pu échapper à une série de calamités et de persécutions grâce aux repaires préparés à l’avance par son conseiller clairvoyant.

 

Que les Chinois aient présent à l’esprit cette nécessité de clairvoyance est témoigné par plusieurs chengyu similaires, mais aussi par un caractère emblématique : xiong   traduit communément en « mauvais augure » :

 

Quasiment inchangé depuis trois mille ans, le caractère se compose de deux parties, dont l’une X est la représentation d’une marche régulière progressant selon un rythme alternatif, comme jadis l’avancée d’un faucheur dans un champ, et l’autre U, l’évocation d’une sorte de fosse dans laquelle la forme en X semble enserrée. L’association des deux signes montre un flux régulier qui, au lieu de s’écouler librement et de manière productive, est tombé dans un trou, à l’intérieur duquel il s’envase et pourrit.

 

Cyrille J.-D. Javary, Le discours de la tortue, p. 47, éd. Albin Michel 2003

 

Ainsi, pour un esprit chinois, la fermeture - dans le sens de « l’étau se resserre » - est le présage par excellence d'une situation néfaste et potentiellement mortelle car sans issue. Vivre longtemps et heureux, cela implique avant tout de s'éloigner de telles éventualités fâcheuses.

 

Image extraite de l’album Mais où est donc le lapin ?, éd. HongFei Cultures, illustré par Sophie Roze.

 Ecouter une sélection de chengyu sur le site de la revue Planète chinois

15/05/2010

Quand le traducteur rencontre les libraires

Janvier dernier, nous avons été contactés par Nadia Ducerf, formatrice à l’INFL (Institut National de Formation de la Librairie), pour une séance d’échanges avec des futurs libraires. L’objectif était de sensibiliser ces derniers à la problématique de la traduction, pour qu’ils disposent de repères pertinents lorsqu’ils conseillent les lecteurs sur les ouvrages d’auteurs d’ailleurs.         

   

Nous avons répondu positivement. Trois mois plus tard, j’ai pu partager mon expérience de traducteur - notamment à travers les exemples de Tigre le Dévoué (éd. HongFei Cultures 2009) et Les Paradis artificiels de Charles Baudelaire (Faces Publications, Taipei 2007) - avec une vingtaine de jeunes professionnels motivés. Un grand merci à Nadia pour son volontarisme et sa confiance en notre compétence et implication, ainsi qu’à l’équipe de l’Institut pour son accueil chaleureux. 

   

»fiche descriptive Mots enchanteurs, mots voyageurs, dans le cadre des Rencontres de HongFei Cultures

 

23/09/2009

Le sens du patrimoine

9782862220475_concept-patrimoine-chine.gifC'est par mon ancien métier d’architecte que j'ai été amené à connaître l’auteur avant qu’il ne publie cet ouvrage de référence sur la signification du « patrimoine » pour les Chinois. Architecte et urbaniste, Zhang Liang aborde ce sujet en s’appuyant sur des exemples de patrimoine bâti en Chine, mais la portée de sa réflexion va bien au-delà de ce champ d’investigation.

 

Dès l’introduction, l’auteur dresse une carte d’exploration pour les lecteurs peu familiers avec le monde chinois. Sur la notion d’authenticité, il souligne « une opposition entre absence de préservation matériellement authentique et respect des valeurs spirituelles et morales du passé. » Quant à l’éternité, elle « habite les gens plutôt que les pierres, l’architecte mais non l’architecture. »

 

Sur le rapport au passé et l’attitude envers le changement des Chinois, l’auteur cite une phrase clé tirée de la célèbre Préface au Pavillon des orchidées du calligraphe WANG Xizhi (303-361) : « Nos successeurs nous regarderont comme aujourd’hui nous regardons le passé. »

 

C’est en devenant nous-mêmes créateurs de sens et de beauté que nous nous rendons dignes héritiers du riche patrimoine culturel légué par les hommes et les femmes qui nous ont précédés.

    

 

couverture : La naissance du concept de patrimoine en Chine, xixe-xxe siècles

auteur : Zhang Liang

éditions : Recherches/Ipraus, 2003

  

01/07/2009

Deux cultures, une maison

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À l’invitation de Mme Sophie Cornu, HongFei Cultures a eu le plaisir de participer à l’Université d’été de la littérature pour la jeunesse de l’Institut International Charles Perrault les 24 et 25 juin derniers à l’Hôtel de Mézières à Eaubonne (Val d’Oise). Les deux éditeurs de la maison d’édition ont, dans ce cadre, animé deux ateliers sur les thèmes respectifs de « La lecture autrement » et « Récits de voyages éditoriaux ».

 

Pour « Récits de voyages éditoriaux », nous avons axé notre présentation sur trois aspects de la trajectoire de la maison HongFei Cultures inscrite dans le paysage de l’édition française pour la jeunesse :  

   

 

la création d’une entreprise culturelle

 

Les deux fondateurs de HongFei Cultures ont chacun reçu et connu une formation et un métier avant de se consacrer à l’édition de jeunesse à plein temps. Ils ont fait la synthèse de leurs compétences professionnelles en 2007, réorganisées et actualisées au service de la création d’une maison d’édition. 

   

Celle-ci est un projet culturel qui vise, d’une part, à encourager la création des illustrateurs et auteurs en France, et d’autre part à inviter le public de France à l’expérience d’une culture autre par la littérature illustrée. La culture chinoise (d’où est issu C.-L. Yeh) est devenue une source importante d’inspiration du projet.

  

Mais elle n’en est pas moins un projet d’entreprise. Il nous appartient de concevoir une offre adaptée aux demandes de lecteurs et d’assurer l’équilibre budgétaire de l’exploitation par la vente des publications. En effet, indépendamment de son contenu culturel, le livre est un produit industriel et une marchandise qui n’échappe pas aux règles de la concurrence. Celle-ci peut décourager l’éditeur dans la conception de livres qui sortent des sentiers battus, tout comme elle peut l’obliger à toujours augmenter la qualité de ses publications.

 

la Chine nous inspire pour imaginer des livres pour enfants en France

  

La majeure partie des livres est souvent portée devant le lecteur grâce à des médiateurs. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de livres pour enfants. Des libraires, bibliothécaires, enseignants, critiques, journalistes, associations, etc. … tous s’attèlent à repérer et recommander aux lecteurs de bons livres parmi ceux très nombreux paraissant saison après saison.

   

Dans ce contexte, pour exister, nos livres doivent se faire remarquer en apportant du nouveau dans leurs forme et esprit, sans aller jusqu’à devenir inclassables

  

HongFei Cultures cherche son équilibre dans cette « biodiversité » : 

   

- par son travail éditorial, elle présente des textes d’auteurs venant de la belle tradition littéraire chinoise à l’adresse du grand public qui, sans être sinophile, peut parfaitement recevoir ce que ces albums ont à offrir ;

   

- dans sa proposition, elle veut rendre possible une « transmission créative » entre parents et enfants. Elle n’ignore pas le besoin des parents à « transmettre » un corpus ou une culture et des valeurs à leurs petits, mais elle croit aussi en la capacité des parents à transmettre et partager bien plus que des histoires répétées : par exemple, l’intérêt pour l’inconnu et la joie de la découverte. 

   

la culture chinoise d’aujourd’hui peut faire sens pour le grand public français

  

Une expérience n’est pas une évasion, ni une connaissance livresque. Elle est un moment vécu qui transforme le regard. 

  

Certains livres proposent cette expérience en s’appuyant sur une imagerie chinoise immédiatement « reconnaissable » (peinture traditionnelle, lavis, traits de visage, habit, mobilier, maisonnette, etc.). Mais l’histoire est-elle vraiment chinoise ou ne l’est qu’en apparence ? En effet, il ne suffit pas de prendre une histoire française et de changer le prénom du héro de « Frédéric » en « Chao », pour la faire devenir une histoire chinoise. L’habit ne fait pas le moine.

   

La culture chinoise a mille facettes. Ce qui nous intéresse pour notre travail d’éditeur, ce sont celles que la Chine a singulièrement cultivées par rapport à d’autres civilisations. Par exemple, l’idée d’une humanité qui se conçoit toujours à partir des « êtres en relation » les uns avec les autres, ou encore celle des transformations constantes de notre monde comme source de liberté, de beauté et de joie, et non d’angoisse.

  

Nous avons constaté que, sans habiller ses personnages en robe chinoise, un artiste peut parfaitement exprimer et communiquer des émotions simples, profondes, concrètes et justes aux lecteurs petits et grands en France. Cela implique un travail d’éditeur différent de celui qui crée une compilation savante ou exhaustive pour un lectorat sinophile et adulte. C’est beaucoup de défi mais quand c’est réussi, non seulement les enfants en profitent, mais avec eux leurs parents (et c’est tant mieux pour la « transmission créative » évoquée ci-dessus) et même les Chinois qui, un jour, pourront découvrir cette part de leur héritage culturel sous une nouvelle lumière.

 

 

28/06/2009

Texte d'ailleurs, images d'ici

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À l’invitation de Mme Sophie Cornu, HongFei Cultures a eu le plaisir de participer à l’Université d’été de la littérature pour la jeunesse de l’Institut International Charles Perrault les 24 et 25 juin derniers à l’Hôtel de Mézières à Eaubonne (Val d’Oise). Les deux éditeurs de la maison d’édition ont, dans ce cadre, animé deux ateliers sur les thèmes respectifs de « La lecture autrement » et « Récits de voyages éditoriaux ».

 

Pour « La lecture autrement », nous avons présenté la démarche et l’expérience de HongFei Cultures résumées en quatre mots clefs : « Texte d’ailleurs, images d’ici ». Plus concrètement, il s’est agi pour nous d’inviter les participants à (re)découvrir deux problématiques liées à la littérature jeunesse :

 

le défi de proposer un texte venu d’ailleurs aux jeunes lecteurs

 

La lecture de tout texte, comme pratique, relève d’une discipline qui implique un apprentissage par lequel on acquiert des outils pour apprécier la qualité (ou son absence) d’une œuvre écrite, avec méthode. Ces outils simples à la portée de tout un chacun permettent au lecteur de prendre du plaisir au texte. Il y voit, par exemple, que l’intérêt d’un récit ne se réduit pas à son intrigue, mais tient aussi et surtout au talent de l’auteur à créer des scènes et des personnages singuliers et convaincants, avec son art et son humanité.

 

La lecture d’un texte venu d’une autre culture n’exige pas un apprentissage plus avancé que cela, si l’éditeur réussit à prendre quelques précautions dans la présentation des textes à publier. Premièrement, il veille à ce que l’humour (une forme plaisante de l’esprit) du texte originel sélectionné soit transmissible et effectivement transmise. Si on égare cette humour en cours de route, l’œuvre perd son âme à l’arrivée. Deuxièmement, il veille à ce que le lecteur ne tombe dans le piège des idées reçues. La tentation de voir l’Autre comme intrinsèquement différent (le goût de l’exotisme) ou comme un miroir de soi (le désir d’ignorer ce qui dérange par sa différence) est grande. Nous, comme éditeurs, souhaitons accompagner les lecteurs à aller au-delà de cette tentation et à goûter au plaisir de l’humour d’un auteur étranger, en nous aidant des images créées ici.

 

le rôle à faire jouer aux images créées « ici », dans cette lecture

 

Entre un texte d’auteur chinois et le jeune public français, les éditions HongFei Cultures favorisent la naissance d’images originales créées par des artistes et illustrateurs d’ici pour que chacun puisse voyager avec plus de liberté entre les cultures s’il le souhaite. 

 

L’idée à l’origine de cette démarche est simple : pour un texte sélectionné, nous consultons un ou plusieurs illustrateurs en France dont l’expression et l’humour nous paraissent correspondre à l’esprit et la subtilité de l’œuvre écrite. L’illustrateur devient LE premier lecteur du texte en question, accompagné par l’éditeur avec les considérations particulières évoquées ci-dessus. Une telle « lecture juste » est la condition préalable pour une création authentique, loin des clichés convenus.

 

Le lecteur est alors invité à marcher sur les pas de l’illustrateur d’ici dans la lecture d’un texte d’ailleurs. L’illustrateur devient un éclaireur et un compagnon sur le chemin de la découverte de l’Autre.

 

 

Que l’aventure continue…

 

24/12/2008

Lire et faire lire dans la Meuse

conference-LFL.jpgCaroline Hayot de la librairie Larcelet (Saint-Dizier) nous avait contactés en septembre dernier. Trois mois plus tard, grâce à son entremise, mon associé Loïc JACOB et moi avons eu le privilège de partager une journée riche en échanges avec environ vingt-cinq lecteurs bénévoles de l’association Lire et faire lire – Meuse, à Saint-Mihiel près de Bar-le-Duc.

 

Un grand merci à Elodie AIMOND et Loïc RAFFA qui pilotent les rencontres avec l’association. Entre Elodie, soucieuse de notre bien être et qui a su mobiliser tous ces bénévoles, et Loïc qui, apprenant lors du déjeuner que j’avais traduit en chinois Les paradis artificiels de Charles Baudelaire, me parla de l’auteur anglais Thomas de Quincey dont les écrits sont un élément clef de l’ouvrage, l’accueil fut chaleureux. Et c’est sans oublier l’enthousiasme appuyé du président de l’UDAF (Union départementale des associations familiales de la Meuse), Philippe GEURING présent ce jour-là.

 

Nous avons pu présenter les projets réalisés et à venir de HongFei Cultures à un auditoire très attentif et intéressé. Sans faire ici le résumé de cette journée, je me contenterai de souligner la particularité de notre démarche d’éditeurs telle que nous l’avons exposée :

 

nous proposons une expérience de lecture de textes chinois à travers une création française sous forme d’albums illustrés ;

 

cette création française se traduit non seulement par celle d’images, mais aussi par la mise en relation de textes d’auteurs dans des collections clefs et par leur présentation originale en albums ;

 

cette qualité de création est essentielle à une expérience de lecture « inédite » qui soit pertinente et enrichissante aussi bien pour un Chinois que pour un Français.

 

En un mot, les albums de HongFei Cultures sont conçus pour accompagner les jeunes lecteurs en France. Mais tous les lecteurs, y compris les Chinois, n’ont nulle raison de se sentir à l’écart : nous souhaitons que tout le monde puisse y trouver son bonheur.

 

Voilà un sens particulier de l’hospitalité. 

 

image : couverture d’un recueil de vingt quatre histoires écrites par GUO Ju-Jing (13e siècle) illustrées par LI Xia (fin 19e siècle).

09/11/2008

L’importance de vivre [1]

Au fil des rencontres avec des lecteurs attentionnés, plusieurs questions reviennent régulièrement sur les textes chinois sélectionnés et publiés par HongFei Cultures sous forme d’albums illustrés. Ces textes évoquent des sujets qui nous concernent tous, d’où leur qualité universelle, mais ils ne le font pas toujours de la « manière » dont nous avons l’habitude ici en France, d'où leur singularité.

 

Dans un langage simple et savoureux, ces textes nous parlent de la sagesse, de l’amour, et de l’importance de vivre. Et comme pour les Chinois, le trépas fait partie du processus de la vie, il arrive que ces textes abordent aussi cette énigme, tout en poésie.

 

Ce rapport particulier au monde et à la vie est une part précieuse et essentielle de la culture chinoise. Il n’est pas aussi visible qu’une peinture chinoise qu’on reconnaît du premier coup d’œil, par ses traits de pinceau ou ses couleurs d’encre.

 

Mais il n’en est pas moins réel et constitue une clé indispensable pour votre approche d'un Chinois.

 

Avant d’avancer plus en détail sur ce sujet, je me permets de vous inviter à découvrir un texte de LIN Yutang (1895-1976), l’un des écrivains et universitaires les plus éclairants de la Chine moderne :

 

 

LIN-Yutang.jpgSelon la théorie du flux de la vie, appliquée au système familiale, l’immortalité devient presque visible et tangible. Tout grand-père voyant son petit-fils se rendre en classe avec le sac au dos, sent qu’il revit réellement dans l’enfant et, quand il lui prend sa main ou lui pince la joue, il sait que c’est la chair de sa chair et le sang de son sang. Sa propre vie n’est qu’une section de l’arbre familial, ou du grand courant qui ne s’arrête jamais, et c’est pourquoi il est heureux de mourir. Le plus grand souci des parents chinois est de voir, avant leur mort, leurs fils et leurs filles convenablement mariés ; c’est un souci encore plus important que celui du lieu de leur propre tombe, ou du choix d’un bon cercueil. Car ils ne peuvent se représenter le genre de vie que leurs enfants auront tant qu’ils n’auront pas vu de leurs propres yeux leurs femmes et leurs maris, et si les belles-filles et les beaux-fils semblent bien, ils sont prêts « à fermer les yeux sans regrets » sur leur lit de mort. 

 

(L’importance de vivre, LIN Yutang, Picquier 2007, p. 254) 

version anglaise 1937, John Day Company, Inc.

version française 1948, éd. Buchet/Chastel

version française 2007, éd. Philippe Picquier