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02/09/2013

Sara et le poète chinois - épisode 2

Le monde est maintenant visible dans ton corps. Octavio Paz

su dongpo,sara,poésie,fermierIl arrive quelquefois à l’éditeur d’albums jeunesse qu’à la lecture d’un texte, un nom d’illustrateur s’impose à lui. Ce fut le cas pour nous lorsqu’à chacune de nos lectures du magnifique texte de SU Dongpo, Un bon fermier, le nom et les images de SARA nous revinrent résolument à l'esprit. Dès lors, dans un étonnant aller-retour imaginaire, nous accordions les univers de ces deux êtres là. La langue du poète, sa beauté simple, infiniment concrète, efficiente, faisaient déjà bruisser les papiers à déchirer que Sara choisirait. De leur côté, les livres de l’artiste et les thèmes qu’elle chérit – la fragilité de la nature humaine, la force de l’expérience humaine, l’attention au monde, le temps… – semblaient déjà donner au poème un corps qui rendrait visible le monde qu’il portait en lui.

Notre satisfaction et notre plaisir furent donc grands lorsque Sara accepta effectivement d’illustrer le texte. Notre bonheur fut complet aux premières planches qui laissaient voir que l’artiste marchait à sa manière dans les pas du lettré chinois et que ses traces, loin de recouvrir celles anciennes de SU Dongpo, leur offraient une grâce nouvelle et permettraient qu’ici, en France, on les suivrait aussi.

Pour nous, l’accord entre SU Dongpo et Sara est parfait. Mieux, l’accord entre la poésie chinoise et Sara opère incroyablement sur le regard et les émotions. C’est au point qu’on aimerait dire de Sara qu’elle est très… chinoise ! Bannissant le superflu, ses images prêtent à l’évidence une robe invisible – à quoi bon montrer ce qu’on sait déjà – et rendent à l’implicite sa forme… incertaine. De ce point de vue, les contours des papiers déchirés de l’artiste jouent à merveille le jeu de la réalité inconstante chère aux lettrés chinois, tandis que les figures ainsi dessinées manifestent avec force l’expression de la sagesse dont la poésie de SU Dongpo est l’une des plus célèbres manifestations dans la littérature chinoise1.

Mais plus légèrement et au-delà de ces considérations, Sara a fait – et nous a fait faire – au fil de son travail sur le texte de SU Dongpo, une drôle de découverte !

su dongpo,sara,poésie,fermier« Finalement les chinois et nous, on a un truc en commun : dans le temps, on avait la même technique pour faire pousser le blé. La preuve ? Vous la trouverez dans mon prochain album Un bon fermier, illustrations sur un poète du 11e siècle, SU Dongpo. »

C’est avec cette formule en forme d’énigme que Sara annonçait il y a quelques jours, sur Facebook, la prochaine parution d’Un bon fermier. Loin de nous l’idée de lever le voile qu’elle jetait là sur une partie du livre… d’autant que ce teasing là nous amuse beaucoup !

Disons juste que face à un texte, Sara le fréquente jusqu’à l’apprivoiser absolument. Or, dans son approchement du poème de SU Dongpo, l’illustratrice a levé un loup ! En effet, le fermier du texte semblait mettre en œuvre une technique bien curieuse pour assurer la bonne levée de son blé. N’y tenant pas de n’y rien comprendre, Sara se lança sur la piste – et nous emmena avec elle ! Et tandis que nous poussions l’enquête vers un agronome chinois de notre connaissance, l’artiste interrogeait un agriculteur de la sienne. Les explications sont venues de là et grande fut notre surprise d’apprendre par notre enquêtrice, non seulement le fin mot de cette technique mais aussi qu’elle eût court ici en son temps. Mieux, comme un écho très direct, certaines pratiques actuelles rendent l’hommage de la permanence à l’observation de nos aînés.

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C’était trop beau pour que nous laissions échapper cette manifestation de la modernité du texte et de son universalité. Avec la complicité de Sara, nous avons gardé la trace de ce questionnement et en rendons le résultat dans une « Petite leçon d’agriculture écologique d’hier et d’aujourd’hui » qu’on trouvera à la fin de l’ouvrage.

N’en disons pas plus, ni sur le texte, ni sur les images de Sara. Gageons que leur lecture saura faire briller les yeux du plaisir qu’on en aura.

Nous, chez HongFei Cultures, nous avons la satisfaction d’un beau livre et le bonheur de vous en annoncer d’ores et déjà un autre à venir au printemps. Après Un bon fermier de SU Dongpo, Sara mettra en image un poème de DU Fu (8e s.). Au menu de son papier déchiré : le temps, le désir et l’amitié.

 

1) Jacques PIMPANEAU consacre un chapitre de son livre Chine. Histoire de la littérature aux deux poètes TAO Yuanming (Ve siècle) et SU Dongpo (XIe siècle) dont il dit que leur œuvre représente « une des grandes contributions originales à la poésie chinoise : l’expression de la sagesse. »

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Un bon fermier, SU Dongpo - SARA, éd. HongFei Cultures, 2013

EN LIBRAIRIE le 19 septembre 2013 / pour découvrir le livre, suivez ce LIEN

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Visitez le site de SARA

su dongpo,sara,poésie,fermierÀ noter : Sara fait partie des invités du Festival des illustrateurs de Moulin (26/09 – 06/10). Pendant cette période, les planches originales de plusieurs de ses livres seront exposées à la cathédrale de Moulins.  

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29/08/2013

Unique est "Un bon fermier" - épisode 1

su dongpo,sara,poésie,fermierDans quelques jours, paraîtra aux éditions HongFei Cultures Un bon fermier. Cet album jeunesse accueille un texte de SU Dongpo (XIe siècle), un des plus grands poètes classiques chinois, mis en images par SARA, une très grande dame de l’illustration jeunesse contemporaine. De cette rencontre inédite résulte une œuvre unique, rare et étonnante.

Unique car, si la poésie chinoise n’est pas totalement absente du champ de la littérature jeunesse publiée en France, c’est la première fois, à notre connaissance, qu’une telle poésie fait l’objet d’un livre tout entier, qui plus est d’un album. Pourtant, caractérisée par « son goût du concret » et un art de la suggestion 1, la poésie chinoise se prête particulièrement à une lecture d’enfant qui trouve à y satisfaire son besoin d’images concrètes et un désir d’horizon émancipateur.

Rare, ce livre l’est aussi par son sujet et son thème. Un rapide coup d’œil à la base du Centre national de la littérature pour la jeunesse La Joie par les livres (une des plus complètes pour les publications jeunesse en France) fait apparaître la quasi-absence du mot « fermier » des titres des ouvrages publiés ces trente dernières années. « La ferme », elle, tient son rang comme microcosme où évolue une grande diversité d’animaux et lieu idéal d’observation et d’apprentissage de la vie en société pour les petits. Mais elle se passe volontiers du fermier qui, lorsqu’il est là, est un personnage secondaire et souvent « trouble-fête ». Et sauf à considérer les livres-documentaires (également peu nombreux sur le sujet), la littérature jeunesse ignore presque tout de la paysannerie.

Étonnant enfin, parce qu’on découvrira à sa lecture une poésie – mais aussi une histoire – à laquelle mille ans n’ont rien enlevé à sa beauté, et dont l’humanisme et la puissance de suggestion sont capables de toucher des hommes d’une époque et d’un pays très éloignés de ceux qui l’ont vue naître.  

C’était il y a quelques mois, lors d’une lecture « pour le plaisir » du poème de SU Dongpo Un bon fermier : deux idées s’imposèrent avec la force de l’évidence : 

HongFei Cultures publierait ce texte… et Sara devait l’illustrer !

SU Dongpo, Sara, poésie, HongfeiOui, nous allions publier en jeunesse, une POÉSIE… CHINOISE… du XIe SIÈCLE !

La belle traduction que Chun-Liang YEH fit de ce texte nous convainquit très vite de sa possible réception par les jeunes lecteurs et même du plaisir qu’ils tireraient de sa fréquentation.  Qu’on en juge avec les premiers mots :

Suivant l’exemple d’un bon fermier qui ménage les ressources de la terre,

J’entreprends avec bonheur la culture de ce sol en friche depuis dix ans.

Pour le réveiller en douceur, …

Quant à Sara, magnifique artiste que nous n’avions approchée jusque-là que de très loin, bien timidement et sans imaginer encore… elle accepta presqu’aussitôt qu’elle lut le texte.

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À suivre !

1) Jacques PIMPANEAU, Chine. Histoire de la littérature, éd. Philippe Picquier, 2004.

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Un bon fermier, SU Dongpo - SARA, éd. HongFei Cultures, 2013

EN LIBRAIRIE le 19 septembre 2013 / pour découvrir le livre, suivez ce LIEN

24/05/2009

La poésie naît d’un besoin naturel du beau et du plaisir

1.jpgQu’est-ce que c’est, la poésie ?

 

La poésie est une expérience esthétique, une expérience plaisante des mots.

 

La poésie est-elle la liberté totale ?

 

La poésie est régie par des règles de rimes, parfois, et de rythmes, toujours ; elle n’est pas une parole sans règle. Le charme de la poésie réside dans la force créatrice des poètes à s’affranchir de ces règles et à nous proposer une expérience de mots inattendue mais ô combien juste par rapport à notre vécu.

 

La poésie se caractérise-t-elle par le jeu du sens des mots ?

 

Au-delà du sens, la poésie c’est aussi un « son rythmé » quand elle est lue, et le mouvement des traits quand elle est écrite. En Chine on écrit et on peint avec le même outil qu’est le pinceau. La composition spatiale des mots qui composent un poème peut véhiculer un élan et émouvoir un lecteur aussi bien qu’une peinture. La poésie s’apprécie ainsi par sa dimension physique également.

 

Les ouvrages de poésie sont-ils délaissés par le lecteur d’aujourd’hui au profit des livres d’images ?

 

Les ouvrages de poésie et les livres d’images ne sont pas antinomiques. L’image peut être un allié de la poésie. La calligraphie chinoise en est un exemple. La couverture d’un ouvrage de poésie, aussi sobrement conçue soit elle, est porteuse d’une esthétique qui prépare le lecteur à entrer dans un monde autre.

 

Comment donner du goût au lecteur pour la poésie ?

 

Pour que le goût d’un homme soit cultivé, il lui est indispensable d’avoir goûté à des mets exquis préparés par un grand chef. Il saura alors distinguer ce qui est excellent de ce qui est médiocre. En littérature et en poésie, il n’en va pas autrement. En mettant à la portée des enfants une « bonne » littérature (comme les Chinois mettent à portée des enfants les poèmes classiques de vingt caractères, avec des niveaux de lecture multiples), nous les aidons à exiger du beau et du plaisir dans leurs lectures à venir. 

 

 

[mémo de quelques idées émises lors de la table ronde sur « Les spécificités de la création d’ouvrages de poésie et leur réception », au dernier salon du livre du Pouliguen. Merci à Frédérique Manin de l'association Le sel des mots d’avoir rendu possibles ces échanges stimulants avec un auditoire enthousiaste et les éditeurs de Sac à mots et Littérales.]

 

image : couverture de Poésie chinoise. texte de François Cheng / calligraphies de Fabienne Verdier. Ed. Albin Michel 2000.