27/02/2011
Créations originales et la tradition
Dans les salons, nombre de lecteurs me posent la question : « Est-ce que vous transcrivez en français des histoires chinoises qui ont déjà existé, ou bien est-ce que vous les avez inventées ? »
Cette question intéressante nous permet d’expliquer plusieurs aspects essentiels de mon activité d’auteur en lien avec une proposition éditoriale « interculturelle ».
Elle est très présente lorsqu’un lecteur français rencontre un auteur chinois. A contrario, elle n’est pas posée lorsqu’il rencontre un auteur français. En effet, nous n’avons pas besoin de la poser à un auteur français car nous connaissons (ou, disons, rien ne nous empêche de connaître) toutes les œuvres qui ont pu être produites en langue française. Nous en connaissons le contenu comme le style. A partir de là, nous pouvons apprécier par nous-mêmes, sans interroger l’auteur, la part de la tradition littéraire qui nourrit sa création singulière et la part de sa propre invention.
Face à un auteur chinois, un lecteur non spécialiste de la littérature chinoise n’est pas préparé pour réaliser cette appréciation. Il n’a pas eu accès à l’immense héritage culturel et littéraire chinois, et n’est pas en mesure d’identifier la singularité de l’auteur par rapport à la tradition qui l’a inspiré.
Malgré cela, le lecteur qui connaît la nature de toute activité d’écriture peut faire la supposition suivante sans risque de se tromper : il y a et la création et la tradition dans les textes publiés par HongFei Cultures. D’un côté, il est impossible pour quiconque veut toucher un public par ses écrits de ne faire que répéter ce qu’il a entendu ailleurs. Même une simple traduction implique beaucoup d’inventivité de la part du traducteur. De l’autre côté, il est tout aussi peu crédible de prétendre avoir tout inventé. Il faut avoir entendu et prononcé des mots d’amour dans la vie pour en imaginer pour ses histoires.
* image extraite de La Bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup par Pei-Chun Shih, avec des illustrations originales de Géraldine Alibeu. Le texte a été distingué par le prix « Meilleure lecture de l’année 2007 » de l’association de littérature jeunesse de Taïwan.
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23/11/2010
Les littérature et langue chinoises
Soyons clairs : il est impossible de présenter une tradition littéraire plurimillénaire dans un article qui se lit en cinq minutes. Je renvoie volontiers les lecteurs curieux à un ouvrage de référence Anthologie de la littérature chinoise classique par Jacques Pimpaneau (éd. Philippe Picquier 2004) qui se lit comme un roman passionnant.
Le lecteur y trouvera une présentation détaillée de textes et de critiques littéraires, par genre et par période. A la marge de cette présentation, nous invitons le lecteur à prêter attention à un aspect particulier de la création littéraire en Chine, comme on s’intéresse à la structure d’un pinceau, la texture d’un papier ou encore les gestes d’un peintre lorsqu’on étudie et apprécie la peinture chinoise.
La littérature chinoise renvoie à l’ensemble des textes littéraires exprimés en langue chinoise, laquelle est radicalement différente de celles connues et pratiquées en Occident. Elle se reconnaît par les caractères (ou groupes de caractères) pris dans un jeu combinatoire riche en potentiel poétique. Sa grammaire est lâche : il est fréquent qu’un même mot s’emploie ici comme un nom, là un verbe, et ailleurs comme un adjectif.
Comment les textes naissent-ils dans cette tradition littéraire ? Par la lecture des œuvres majeures forgeant le regard et la sensibilité d’un auteur qui utilise alors cette langue pour porter une expression inédite tout en se faisant comprendre de ses contemporains. En effet, c’est en puisant dans les meilleurs textes, qui restent vivants au-delà des millénaires, qu’un auteur chinois crée son langage pour partager avec ses lecteurs un univers singulier, avec une grande précision et une puissance d’émotion.
Même si vous ne pratiquez pas la langue chinoise, il est tout à fait possible de vous faire une idée du lien étroit entre le renouvellement perpétuel d’une langue ancestrale, d’une part, et l’existence pérenne d’une tradition littéraire dans le monde moderne, d’autre part. Aidons-nous pour cela d’un texte extrêmement limpide et éclairant de Charles Baudelaire, dans lequel il décrit la maîtrise par un jeune Anglais (Thomas de Quincey, 1785-1859) de ce processus d’actualisation de la langue grecque :
De très bonne heure il se distingua par ses aptitudes littéraires, particulièrement par une connaissance prématurée de la langue grecque. A treize ans, il écrivait en grec ; à quinze, il pouvait non seulement composer des vers grecs en mètres lyriques, mais même converser en grec abondamment et sans embarras, faculté qu’il devait à une habitude journalière d’improviser en grec une traduction des journaux anglais. La nécessité de trouver dans sa mémoire et son imagination une foule de périphrases pour exprimer par une langue morte des idées et des images absolument modernes, avait créé pour lui un dictionnaire toujours prêt, bien autrement complexe et étendu que celui qui résulte de la vulgaire patience des thèmes purement littéraires.
Les Paradis artificiels, part II « Un mangeur d’opium ».
Image extraite de l’album Tigre le Dévoué (éd. HongFei Cultures 2009) illustré par Agata KAWA. Parmi les quatorze planches du livre, celle-ci accompagne le passage surligné du texte chinois de SHEN Qifeng reproduit ci-dessous.
22:49 Publié dans HongFei : Ressources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, langue, chine, création, actualisation, tigre le dévoué, thomas de quincey, charles baudelaire, grammaire | Facebook |
07/08/2010
Libération vs. liberté
Ayant reçu une invitation pour un spectacle intitulé Kungfu Revelations (Versets des arts martiaux) à Taipei, je m’y rend sans aucune d'idée de ce que j'y trouverais.
Il s'agit d'une chorégraphie inspirée des mouvements du corps dans les arts martiaux, exécutée par une troupe de jeunes danseurs, sur une musique évocatrice de la sérénité bouddhiste et composée de neuf versets à thème. Dans la deuxième scène "Sutra", un petit moine se désespère de ne pas bien apprendre le Texte. Dans un excès de colère il rejette son instrument de prière. Un autre moine plus mûr l'aide à revenir à sa douceur et à reprendre confiance. Plus tard, dans un autre lieu, le petit moine fait ses prières au son de celles de ses frères.
Ce passage m'a d'emblée convaincu de la cohérence et de l'originalité de cette création. C'est probablement lié au fait que je vis parmi les Français depuis longtemps et suis maintenant sensible à tout ce qui dévoile un peu plus cet impensé culturel, aux Français mais également aux Chinois.
Je suis touché par la scène de "Sutra" car elle dit en toute simplicité comment les Chinois voient le sens de notre existence : l'affranchissement. La notion chère aux Occidentaux de la liberté individuelle comme un droit, avec l'apprentissage des lois comme sa garantie, n'est pas étrangère à la Chine contemporaine. Mais elle ne se substitue pas à une autre vision de l'homme, celle selon laquelle le propre de l'homme est de s'élever spirituellement. L'apprentissage des règles se conçoit au service, non d'une liberté individuelle absolue et abstraite, mais de cette libération de l'esprit tout au long d'une vie.
Les propos de Zhuangzi et Confucius, penseurs de l'Antiquité, en témoignent...
nota : en écrivant ce post, je me rappelle l'épisode récent d'un chorégraphe français en visite en Chine pour monter un spectacle avec de jeunes membres d'une troupe de l'opéra de Pékin. Il leur demande d'"exprimer leur personnalité". Ca a probablement paru très étrange et incompréhensible pour les Chinois qui pensent en terme d'affranchissement (processus long qui ne se commande pas de l'extérieur) plutôt que de liberté immédiatement disponible.
crédit photo : www.junzimen.com/Article/2009/30159.html
03:53 Publié dans journal d'éditeur, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chine, kungfu, création, homme, vision | Facebook |