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26/09/2012

Matteo Ricci, ils sont restés sourds.

IMG.pngEn France je croise parfois des essais et des articles sur la Chine, sa culture et son développement actuel, rédigés par des voyageurs ou divers professionnels ayant séjourné en Chine. Il m’arrive d’être déçu par la persistance de clichés véhiculés par ces auteurs pourtant bien placés pour faire une observation en profondeur et fournir une explication simple et intelligible. De plus en plus souvent, je suis amené à considérer les "récits" sur la Chine comme révélateurs de la largesse d'esprit d’un auteur, et dois me rendre à l’évidence que des auteurs étroits d’esprit voyagent aussi en Chine et diffusent leur vérité sur ce pays. Pourquoi sont-ils publiés ? Parce que ces auteurs sont trop éminents pour qu’on refuse leur contribution, ou que leur éditeur n’est pas suffisamment averti sur ce sujet , ou parce que leur vision des choses correspondrait à celle qui conforte les lecteurs dans la leur ? Sans illusion sur la portée de mes critiques dans ce blog, j’essaie toutefois de garder une trace de mes réflexions qui me seront peut-être utiles dans dix ans lorsque ces clichés dénoncés continueront encore de proliférer. 

Je note ainsi le propos d’un personnage très influent (président d'une grande école de commerce) publié dans une revue spécialisée dont je loue pourtant la qualité éditoriale : 

« …depuis la Révolution française, la revendication d’égalité s’est ajoutée à celle de la liberté individuelle, inventée par les philosophes grecs et magnifiée par le christianisme. Dans le monde asiatique, l'individu n'existe pas, le groupe est le centre de gravité. Pour Confucius, le groupe de référence, c'est la famille. L'Etat, l'entreprise sont à l'image de la famille... » (Chine Plus, n°23, juin-septembre 2012)

Ce propos révèle une double erreur de l’auteur. Premièrement, en Chine, qui est une part non négligeable du monde asiatique, l’individu existe. Ce qui n’existe pas, c’est l’individu sans lien avec les autres. Quant à Confucius, il fait le constat "simple" que personne ne naît de nulle part. Quand un individu naît, il est déjà en lien, à commencer par celui de la parenté. En conséquence, parmi les grandes questions que se pose Confucius, se trouvent la nature de ces liens et ce qu’on en fait.

La deuxième erreur de l’auteur vient de l’opposition qu’il fait entre l’individu et la famille. La famille est un sujet « ambigu » pour les Français. Défendue dans une acception étroite par certains, elle est haïe par d'autres à cause de l’inertie qu’elle incarne dans la reproduction sociale des individus d’une génération à l’autre. Or, sans dénoncer ni sacraliser la famille, Confucius - à la suite du constat signalé au-dessus - fait de la famille un lieu d’apprentissage, naturel et légitime, d’empathie. Auprès de ses parents et ses frères/soeurs, un individu apprend à devenir digne d’avoir des amis qui l’aident à s’émanciper. Se faire des amis (ou créer des liens, comme dit le renard du Petit Prince) afin de se perfectionner en son humanité est l’expression la plus élevée de la liberté individuelle en Chine.

 

Cette compréhension du confucianisme, loin d’être arbitraire, constitue la quintessence d’un ouvrage déjà ancien et écrit par un Occidental, le jésuite Matteo Ricci : Traité de l’amitié (publié en chinois en 1595, aujourd’hui disponible aux éditions Noé en version bilingue. Cliquer ici pour lire la quatrième de couverture). 

 

 

image : portrait de Matteo Ricci, auteur du dessin inconnu, cliché Bibliothèque nationale de France.

 

Chun-Liang YEH

 

 

01/05/2009

Partir

 

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… En «  lisant » Du côté de chez Swann et A l’ombre des jeunes filles en fleurs (version BD dessinée par Stéphane Heuet, par la force des circonstances), je sais que je le comprends, Proust. Symétriquement, je me sais compris. Ces dernières années la vie m’a amené à apprécier certaines choses qui, pour l'être, doivent être « vécues », peu importe l’intelligence d’un individu.

 

Mais, qui a vécu, qui n’a pas vécu ? Qui est au-dessus de tous pour estimer si un autre a, ou n’a pas, vécu ? Ainsi, je ne peux que parler pour moi-même et toute tentative de transformer ces propos en un précepte pour une vie heureuse serait illusoire. A Taipei, le dernier bestseller est le récit d’un jeune homme qui s’est aventuré dans les contrées reculées du Tibet. Le préfacier, un homme de lettre pourtant intelligent, est si emporté par son enthousiasme de l’aventure « extraordinaire » de l’auteur, qu’il enjoint tous les lecteurs à « partir ». Peu importe où, mais il faut partir... Comme si partir suffisait à transformer un homme médiocre en un homme de qualité. Comme si hors de ces aventures extraordinaires, la vie ne serait pas vécue.

 

Ce « partir » banalisé traduit plutôt une révolte contre le poids de la vie quotidienne. Ce qui importe selon moi, ce n’est pas « partir » mais de trouver la force de tenir tête au poids de la vie quotidienne. Un homme qui part en aventurier dans la jungle n’est pas forcément plus courageux que celui qui ne part pas, mais qui sait, lui, transformer ce qui lui est donné à vivre comme un cheminement – vers la beauté et la liberté.

 

Chun

Lettre à un ami

 

image : couverture de la version chinoise de « A la recherche du temps perdu : Combray »

auteur : Marcel Proust

illustrateur : Stéphane Heuet

traducteur : LIN Weijun

éditeur : Dala (Taipei 2003)

 

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Lilies-of-the-valley (muguets), photo prise ce jour dans le jardin d'une amie à Oxford.

 

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