01/05/2009
Partir
… En « lisant » Du côté de chez Swann et A l’ombre des jeunes filles en fleurs (version BD dessinée par Stéphane Heuet, par la force des circonstances), je sais que je le comprends, Proust. Symétriquement, je me sais compris. Ces dernières années la vie m’a amené à apprécier certaines choses qui, pour l'être, doivent être « vécues », peu importe l’intelligence d’un individu.
Mais, qui a vécu, qui n’a pas vécu ? Qui est au-dessus de tous pour estimer si un autre a, ou n’a pas, vécu ? Ainsi, je ne peux que parler pour moi-même et toute tentative de transformer ces propos en un précepte pour une vie heureuse serait illusoire. A Taipei, le dernier bestseller est le récit d’un jeune homme qui s’est aventuré dans les contrées reculées du Tibet. Le préfacier, un homme de lettre pourtant intelligent, est si emporté par son enthousiasme de l’aventure « extraordinaire » de l’auteur, qu’il enjoint tous les lecteurs à « partir ». Peu importe où, mais il faut partir... Comme si partir suffisait à transformer un homme médiocre en un homme de qualité. Comme si hors de ces aventures extraordinaires, la vie ne serait pas vécue.
Ce « partir » banalisé traduit plutôt une révolte contre le poids de la vie quotidienne. Ce qui importe selon moi, ce n’est pas « partir » mais de trouver la force de tenir tête au poids de la vie quotidienne. Un homme qui part en aventurier dans la jungle n’est pas forcément plus courageux que celui qui ne part pas, mais qui sait, lui, transformer ce qui lui est donné à vivre comme un cheminement – vers la beauté et la liberté.
Chun
Lettre à un ami
image : couverture de la version chinoise de « A la recherche du temps perdu : Combray »
auteur : Marcel Proust
illustrateur : Stéphane Heuet
traducteur : LIN Weijun
éditeur : Dala (Taipei 2003)
Lilies-of-the-valley (muguets), photo prise ce jour dans le jardin d'une amie à Oxford.
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09/11/2008
L’importance de vivre [1]
Au fil des rencontres avec des lecteurs attentionnés, plusieurs questions reviennent régulièrement sur les textes chinois sélectionnés et publiés par HongFei Cultures sous forme d’albums illustrés. Ces textes évoquent des sujets qui nous concernent tous, d’où leur qualité universelle, mais ils ne le font pas toujours de la « manière » dont nous avons l’habitude ici en France, d'où leur singularité.
Dans un langage simple et savoureux, ces textes nous parlent de la sagesse, de l’amour, et de l’importance de vivre. Et comme pour les Chinois, le trépas fait partie du processus de la vie, il arrive que ces textes abordent aussi cette énigme, tout en poésie.
Ce rapport particulier au monde et à la vie est une part précieuse et essentielle de la culture chinoise. Il n’est pas aussi visible qu’une peinture chinoise qu’on reconnaît du premier coup d’œil, par ses traits de pinceau ou ses couleurs d’encre.
Mais il n’en est pas moins réel et constitue une clé indispensable pour votre approche d'un Chinois.
Avant d’avancer plus en détail sur ce sujet, je me permets de vous inviter à découvrir un texte de LIN Yutang (1895-1976), l’un des écrivains et universitaires les plus éclairants de la Chine moderne :
Selon la théorie du flux de la vie, appliquée au système familiale, l’immortalité devient presque visible et tangible. Tout grand-père voyant son petit-fils se rendre en classe avec le sac au dos, sent qu’il revit réellement dans l’enfant et, quand il lui prend sa main ou lui pince la joue, il sait que c’est la chair de sa chair et le sang de son sang. Sa propre vie n’est qu’une section de l’arbre familial, ou du grand courant qui ne s’arrête jamais, et c’est pourquoi il est heureux de mourir. Le plus grand souci des parents chinois est de voir, avant leur mort, leurs fils et leurs filles convenablement mariés ; c’est un souci encore plus important que celui du lieu de leur propre tombe, ou du choix d’un bon cercueil. Car ils ne peuvent se représenter le genre de vie que leurs enfants auront tant qu’ils n’auront pas vu de leurs propres yeux leurs femmes et leurs maris, et si les belles-filles et les beaux-fils semblent bien, ils sont prêts « à fermer les yeux sans regrets » sur leur lit de mort.
(L’importance de vivre, LIN Yutang, Picquier 2007, p. 254)
version anglaise 1937, John Day Company, Inc.
version française 1948, éd. Buchet/Chastel
version française 2007, éd. Philippe Picquier
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