26/06/2016
De Shanghai à Marseille, de 1916 à 2016.
Lors de la rencontre autour de l’album Te souviens-tu de Wei ? à la librairie Le Phénix à Paris hier, Joel Franz Rosell a posé une question à l’auteure Gwenaëlle Abolivier sur le rapport entre l'écriture d’un reporter et celle d’un écrivain créateur de fiction. Il se trouve que la question se pose également pour l’illustration, une question que n’ignore pas Zaü qui avait passé des années à dessiner la vie des gens telle qu’il la découvrait en Afrique.
Dans les pages du livre, deux passages sautent aux yeux comme une réponse éloquente à cette question. La première, « Combien de jour / combien de nuit / a-t-il comptés depuis Shanghai ». Sur fond de la ville chinoise en 1916, le jeune homme solitaire, vu de dos, part avec un balluchon. L'illustrateur Zaü n'aurait pas pu dessiner cette scène sans en avoir été témoin, en empathie avec la mère de Wei qui regardait son garçon s'éloigner.
Deux planches et dix milles kilomètres plus loin, la vue de la cité phocéenne depuis le pont du navire. L'auteure écrit : « Te souviens-tu de Wei / avant qu’il ne débarque à Marseille / les yeux perdus au fond de la mer / pour y puiser le regard de sa mère / restée de l’autre côté de la Terre / au pays du Livre des merveilles ». Sur la page en face, une photo de la mère qui contemple son fils. De la même manière, l’illustrateur Zaü fut témoin de cet instant, en empathie avec le jeune Wei qui essuyait ses larmes en cachette.
Merci à Gwenaëlle d’avoir créé ce beau texte qui a inspiré Zaü, celui qui montre sans le dire.
13:22 Publié dans HongFei : Actualités, HongFei : Rencontres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : te souviens-tu de wei ? gwenaëlle abolivier, zaü, immigration, exil, chinois, première guerre mondiale, histoire | Facebook |
23/06/2013
Taipei Story
La semaine dernière, j’ai eu le plaisir de retrouver un ami de fac de passage à Paris, pour un petit déjeuner non loin de la Tour Eiffel. Aujourd’hui, il m’a invité à une soirée littéraire au Taipei Story House qui accueille deux écrivains pour une lecture devant une cinquantaine de personnes. Dites ce que vous voulez, en matière d’amitié j’ai le goût du luxe. En moins de dix jours, voir par deux fois un ami de vingt ans, dans deux villes à dix mille kilomètres de distance : pourquoi s’en priver...?
Le bâtiment qu’on appelle Taipei Story House a cent ans : cet hôtel particulier a été érigé par un riche marchand de thé de Taipei dans le style Tudor pour recevoir ses amis et ses clients. Depuis 2003, il héberge un mini-musée consacré à vie culturelle de l’île depuis le début du vingtième siècle, avec comme objectif d’insuffler une nouvelle vie à un patrimoine conservé.
(crédit photo : Taipei city government)
L'évènement littéraire auquel j’ai assisté s’intitule « les vendredis des Muses ». Il a lieu le troisième vendredi de chaque mois ; c’était le 67e rendez-vous ce soir. Les deux écrivains invités sont des personnages importants dans la vie littéraire du pays. Jiji 季季,rédactrice en chef d’un important journal de presse nationale, a lu un récit qu'elle a écrit sur l’inauguration du pont ferroviaire en acier qui enjambe l'estuaire du plus grand fleuve de Taiwan depuis 1953, lorsqu'elle avait 8 ans. Grâce à sa voix et ses mots qui ressuscitent bien des couleurs, des bruits, des odeurs et des visages, on revit l’excitation des villageois des deux rives à la veille du décollage économique de Taiwan.
Su Xiaokang 蘇曉康,l’auteur du film « River Elegy » vu par cent million spectateurs en Chine en 1988 et exilé aux Etats-Unis au lendemain de l’événement de Tian’anmen, nous a dévoilé la grande Histoire à travers sa trajectoire personnelle très singulière. En 1947, ses parents communistes ont fui le régime nationaliste (dirigé par Chiang Kai-Chek) à Taiwan. Deux ans plus tard, c’était au tour des nationalistes, battus par les communistes (dirigés par Mao Zedong), de se réfugier sur l’île. Le père de Su a dû traverser le détroit de Formose une nouvelle fois, dans le sens inverse, sous peine d'être fait prisonnier et de mourir à Taiwan. A l’époque, la maman de Su le portait déjà dans son ventre. Elle quitta Taiwan pour rejoindre son mari et donner naissance à Su à Hangzhou. Interdit sur le territoire chinois depuis un quart de siècle, Su a été invité à Taiwan à plusieurs reprises par ses amis écrivains (dont Jiji, également son éditrice). Pour la lecture de ce soir, il a choisi un récit où ses pas rejoignent ceux de ses parents, à Taiwan et à Hangzhou. Sans mot nostalgique, il y rend hommage à sa mère avec une grande pudeur et dignité.
En une heure et demie, nous avons voyagé au travers des dizaines d’années et parcouru des milliers de kilomètres, en compagnie des personnalités hors du commun qui restent si proches de nous, sans nous écraser par leur ego. C’est pour ça que je les aime, les Taipei stories.
post de Chun-Liang YEH
10:30 Publié dans journal d'éditeur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : taiwan, chine, culture, histoire, su xiaokang, taipei story house | Facebook |
09/05/2012
L’Universalité et l'existence de l'Autre. [2/3]
Lors de la soirée évoquée dans l’épisode précédent, l’écrivaine-voyageuse en est venue à m’enjoindre de reconnaître les Droits de l’Homme comme une valeur universelle, faute de quoi je serais complice des mesures, critiquées en France, du gouvernement chinois actuel.
Étrange mise en demeure…
Je pense pourtant qu’il est possible de questionner les valeurs universelles, ou plus précisément leur instrumentalisation, indépendamment de l’actualité politique de tel ou tel pays.
En effet, chez certains défenseurs des droits universels de l’homme, une attitude me paraît particulièrement troublante : il leur arrive d’emprunter le costume de l'évangéliste ou pire, de l'inquisiteur. Pour eux, l’« universalité » est un label qui les dispense de la nécessité de connaître les peuples qu’ils entendent convertir à la lumière et la raison. Ils font ainsi peu de cas des « cultures » rencontrées sur leur passage.
Ces « missionnaires » des temps modernes oublient une chose essentielle : les peuples rencontrés ne sont pas des arriérés et ont une mémoire et un regard sur les arrivants. A ce double titre, ils exigent de ces derniers une crédibilité à la hauteur des valeurs proclamées. Or, pour ce qui les concerne, les Chinois ne reconnaîtront probablement pas les Européens comme pleinement crédibles tant que ceux-ci demeureront ignorants d'un passé récent entre l’Europe et la Chine (parce qu'il est fort peu enseigné à l'école ici).
Lors du dîner que j'évoque plus haut, un convive plein de bonne intention m'a expliqué que ce sont les Anglais qui, arrivant en Chine au 19e siècle, ont obligé les Chinois à cesser de se droguer avec l'opium. Mais faut-il rappeler que :
[…] les Britanniques, au nom de la liberté du commerce, envoient leur flotte de guerre en juin 1840 pour imposer par la force le droit de vendre (en Chine) la drogue venues des Indes… Il ne s’agit cependant pas que d’une page particulièrement honteuse de l’histoire britannique, mais bien, pour les rapports entre l’Occident et la Chine, d’un tournant historique. Les manuels d’histoire français d’aujourd’hui oublient totalement les guerres de l’Opium, alors que la France a participé très activement à la deuxième…
Extrait de « Opium et canonnières » par Alain Croix et Vincent Joly, in La soie & le canon, France-Chine 1700-1860, éd. Gallimard, catalogue de l’exposition éponyme au musée de l’Histoire de Nantes, 2010.
Chun-Liang YEH
08:45 Publié dans journal d'éditeur | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : chine, universalité, culture, histoire, europe, france | Facebook |
14/01/2012
La démocratie a une histoire.
1895 : L'île de Taïwan acquiert le statut de province chinoise juste avant sa cession au Japon.
1912 : Fin de la dynastie des Qing. Proclamation de la République de Chine sur le Continent.
Sun Yat-sen (1866-1925), père-fondateur de la République de Chine
1938 : Naissance de ma mère sur une île de pêcheurs à Kaohsiung, sud de Taïwan.
1945 : Les Japonais quittent Taïwan après la seconde guerre mondiale.
1949 : Suite à la guerre civile entre le Parti Nationaliste chinois et le Parti Communiste, arrivée à Taïwan des réfugiés nationalistes. S'installe un régime autoritaire avec le parti unique de Chiang Kaï-chek. L'application des lois martiales interdisant la formation des partis politiques.
Chiang Kaï-chek (1887-1975)
1979 : Répression d'une manifestation pacifique à Kaohsiung organisée par les éditeurs de la revue "Belle Ile Formosa" le 10 décembre, journée internationale des droits de l'homme. J'avais 10 ans.
Les premiers numéros de la revue Belle Ile Formosa 美麗島雜誌.
1986 : Formation du Parti Démocratique Progressiste (DPP) par les "dissidents" au pouvoir.
1987 : Levée des lois martiales après 38 ans d'application.
1996 : Première élection du président de Taïwan (République de Chine) au suffrage universel, pour un mandat de quatre ans.
2012 : 5e élection présidentielle avec 18 millions de votants. Pas moins de cent milles Taïwanais à l'étranger ou résidant sur le Continent rentrent au pays pour exercer leur droit de vote. Parce que c'est NOTRE démocratie.
Maman devant le bureau de vote à Yonghe, Taipei, le 14 janvier 2012.
poste de Chun-Liang YEH
voir aussi D'une Chine à l'autre, article du Monde le 13/01/2012
04:34 Publié dans journal d'éditeur | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chine, taïwan, histoire, démocratie, formosa | Facebook |