23/11/2010
Les littérature et langue chinoises
Soyons clairs : il est impossible de présenter une tradition littéraire plurimillénaire dans un article qui se lit en cinq minutes. Je renvoie volontiers les lecteurs curieux à un ouvrage de référence Anthologie de la littérature chinoise classique par Jacques Pimpaneau (éd. Philippe Picquier 2004) qui se lit comme un roman passionnant.
Le lecteur y trouvera une présentation détaillée de textes et de critiques littéraires, par genre et par période. A la marge de cette présentation, nous invitons le lecteur à prêter attention à un aspect particulier de la création littéraire en Chine, comme on s’intéresse à la structure d’un pinceau, la texture d’un papier ou encore les gestes d’un peintre lorsqu’on étudie et apprécie la peinture chinoise.
La littérature chinoise renvoie à l’ensemble des textes littéraires exprimés en langue chinoise, laquelle est radicalement différente de celles connues et pratiquées en Occident. Elle se reconnaît par les caractères (ou groupes de caractères) pris dans un jeu combinatoire riche en potentiel poétique. Sa grammaire est lâche : il est fréquent qu’un même mot s’emploie ici comme un nom, là un verbe, et ailleurs comme un adjectif.
Comment les textes naissent-ils dans cette tradition littéraire ? Par la lecture des œuvres majeures forgeant le regard et la sensibilité d’un auteur qui utilise alors cette langue pour porter une expression inédite tout en se faisant comprendre de ses contemporains. En effet, c’est en puisant dans les meilleurs textes, qui restent vivants au-delà des millénaires, qu’un auteur chinois crée son langage pour partager avec ses lecteurs un univers singulier, avec une grande précision et une puissance d’émotion.
Même si vous ne pratiquez pas la langue chinoise, il est tout à fait possible de vous faire une idée du lien étroit entre le renouvellement perpétuel d’une langue ancestrale, d’une part, et l’existence pérenne d’une tradition littéraire dans le monde moderne, d’autre part. Aidons-nous pour cela d’un texte extrêmement limpide et éclairant de Charles Baudelaire, dans lequel il décrit la maîtrise par un jeune Anglais (Thomas de Quincey, 1785-1859) de ce processus d’actualisation de la langue grecque :
De très bonne heure il se distingua par ses aptitudes littéraires, particulièrement par une connaissance prématurée de la langue grecque. A treize ans, il écrivait en grec ; à quinze, il pouvait non seulement composer des vers grecs en mètres lyriques, mais même converser en grec abondamment et sans embarras, faculté qu’il devait à une habitude journalière d’improviser en grec une traduction des journaux anglais. La nécessité de trouver dans sa mémoire et son imagination une foule de périphrases pour exprimer par une langue morte des idées et des images absolument modernes, avait créé pour lui un dictionnaire toujours prêt, bien autrement complexe et étendu que celui qui résulte de la vulgaire patience des thèmes purement littéraires.
Les Paradis artificiels, part II « Un mangeur d’opium ».
Image extraite de l’album Tigre le Dévoué (éd. HongFei Cultures 2009) illustré par Agata KAWA. Parmi les quatorze planches du livre, celle-ci accompagne le passage surligné du texte chinois de SHEN Qifeng reproduit ci-dessous.
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16/11/2010
Pourquoi publions-nous des textes d’auteur ?
Voici une des questions les plus fréquemment posées aux éditeurs de HongFei Cultures sur les salons : « Ce sont des contes traditionnels que vous publiez ? »
En effet, l’expression « conte traditionnel » évoque, dans l’esprit de beaucoup de lecteurs, la double idée de l’authenticité et de la permanence. Si un conte est répété de génération en génération, c’est la preuve qu’il correspond à la conscience ou au génie collectif d’un peuple, et qu’il est donc « fiable » lorsqu’on veut acquérir une « connaissance » de la culture ou civilisation de ce peuple.
Certaines des histoires que nous avons publiées possèdent effectivement une structure de narration proche de celle des contes très connus et appréciés en Occident (situation initiale – crise – quête – résolution, etc.) Mais, chaque récit que nous publions (qu’il s’apparente ou pas au conte) est présenté d’abord en tant que « texte d’auteur ».
Plusieurs raisons sont à l’origine de ce choix d’éditeur. Contentons-nous d’en évoquer une majeure ici :
Un conte emporte le lecteur dans un monde autre, par un effet d’extravagance fort d’une grosse sagesse comme le signale Elisabeth LEMIRRE dans son avant-propos des Contes du mandarin (éd. Picquier Poche 2007). Or, ce que nous souhaitons partager avec nos lecteurs ne se définit pas comme intrinsèquement « extravagant » ni n’est destiné à porter une morale. Au contraire, les sujets et personnages des récits beaux et profonds, que nous présentons aux lecteurs en France et qui peuvent parfois les troubler, font généralement partie des choses « ordinaires » de la vie d’un Chinois.
C’est le regard et l’art des auteurs, mis en valeur par les éditions HongFei Cultures, qui transforment ces moments de la vie en une œuvre « extraordinaire » à contempler et dont on jouit, les enfants comme les adultes, en France comme en Chine.
Cette démarche nous permet de guider le regard du lecteur vers une création incarnée par le texte. Celui-ci porte en témoignage les pensées et les émotions d’un auteur qui, une fois son acte de création achevé, s’en détache. A la différence d’un conte « agissant sur » l’émotion d’un auditeur par l'intrigue et les effets de la narration, le lecteur est ici invité à « faire un pas vers » le texte et à le reconnaître comme le lieu de résonnance d’une émotion vécue. C’est ce qu’on appelle une « empathie » - être capable d’émotion pour l’émotion d’un autre.
L’une de nos plus grandes satisfactions, depuis la création des éditions HongFei Cultures, est de constater dans les écoles, les bibliothèques et sur les salons que les enfants ne s’intéressent pas uniquement aux intrigues des contes. Ils sont tout à fait capables et désireux de faire ce pas vers un texte pourvu qu’il propose de partager une expérience sensible.
Publier pour les jeunes lecteurs des textes d’auteur est une manière d’accompagner les enfants dans le développement d’une sensibilité aux mots justes. Peut-être que, marchant sur les pas des auteurs, ils parviendront à leur tour à « verbaliser » une expérience avec justesse et élégance, pour eux-mêmes et pour les autres. Dans tous les cas, il nous semble que c’est aller plus loin dans l’exploration de ce monde.
Voici pourquoi HongFei Cultures propose une expérience de récits d’auteur chinois, classiques ou contemporains, un peu plus rarement rencontrée en France jusqu’ici que celle des contes dits « populaires » et/ou « traditionnels » très présents dans la production éditoriale de livres pour la jeunesse.
Image extraite de l’album « Homme-Requin », illustré par Gaëlle Duhazé. Le texte de SHEN Qifeng fut publié en 1792, alors que l’ouvrage « A la recherche des esprits » par Gan Bao au 4e siècle donna déjà un portrait du héros de l’histoire.
13:24 Publié dans HongFei : Ressources | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : texte, auteur, chinois, conte, homme-requin, gaëlle duhazé, empathie, expérience | Facebook |
04/11/2010
Textes d'auteurs chinois
Nous avons eu récemment une occasion d’expliquer, dans deux émissions de radio* sur l’actualité culturelle, l’offre éditoriale que nous formulons depuis trois ans, à travers notamment une présentation des nouveaux titres de la rentrée.
Nous avons aussi eu le grand plaisir de constater un intérêt réel chez nos deux interlocutrices sur l’une des spécificités de notre proposition : les textes d’auteurs chinois.
Que les auditeurs qui nous ont écoutés nous excusent des explications partielles données allègrement sur les ondes. En effet, derrière ces mots simples, il y a tout un univers qu’une vie entière ne suffirait pas à explorer de manière exhaustive. Nous nous efforçons, malgré tout, d’évoquer quelques facettes de cette problématique, comme un début de réponse qui se prolongera sûrement sur les prochains posts de ce blog :
1. Pourquoi publions-nous les textes d’auteur, et non les contes populaires de la tradition orale ?
2. La tradition littéraire chinoise peut-elle se reconnaître, comme une peinture chinoise se différencie d’une peinture occidentale ?
3. Quelles seraient les caractéristiques de la littérature chinoise, en particulier celle accessible aux jeunes lecteurs ?
4. Comment situer une création contemporaine (comme Pi, Po, Pierrot, Face au Tigre et Les Deux Paysages de l’empereur, Marée d'amour dans la nuit) par rapport à cette tradition littéraire ? Comment peut-on valoriser son originalité et sa singularité d’auteur tout en s'inscrivant dans une tradition littéraire ?
Voilà de quoi nous occuper pour quelques temps...
Image extraite de l'album Les Deux Paysages de l'empereur, illus. Wang Yi
* les liens vers l'enregistrement de ces émissions seront bientôt disponibles sur ce blog.
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